[Critique Série] – Adventure Time : the fun will never end

Affiche pour la mini-série Elements

2018 aura donc été la fin d’une ère pour deux chaînes : FX, qui a perdu avec The Americans sa série de prestige qui fera date dans le genre de l’espionnage – et qui un jour sera réévaluée à sa juste valeur ; et Cartoon Network, qui voit sa série des années 2010 se terminer après neuf années de diffusion. Alors emmenez vos amis avec vous, prenez vos mouchoirs et direction des terres lointaines pour parler d’Adventure Time.

Dans le monde – au premier abord – fantastique de Ooo peuplé de princesses et de monstres, Finn l’humain et Jake le chien passent leur journée à manger, dormir et aider des personnes dans le besoin. Sur le papier, un pitch classique de séries jeunesse ; en pratique, il s’agit juste d’un prétexte pour mettre en scène des situations absurdes en pagaille en dix minutes chrono, avec des personnages tous plus barrés les uns que les autres – mentions spéciales au Ice King et à Magic Man. Une série comique très enlevé donc ; mais derrière ce vernis, Adventure Time évoque aussi des thèmes plus sombres, tels que l’Holocauste nucléaire, la reconstruction de soi, le deuil, la folie… Le tout dans une ambiance mélancolique, où la vie suit son cours d’une manière ou d’une autre sans que l’on ait prise sur les événements.

Quand Come along with me, le 283e épisode d’Adventure Time, est diffusé le 4 septembre 2018 sur Cartoon Network, cela fait déjà neuf ans que la série créée par Pendleton Ward (qui laisse les clefs de la série à Adam Muto à partir de la saison 6) écume les écrans de la chaîne jeunesse de la Warner et onze depuis la diffusion du pilote sur une chaîne du groupe Nickelodeon, qui aurait pu être le diffuseur de la série mais qui a préféré passer son tour. Autant dire que la chaîne au damier a eu de la chance et du nez : commencée en 2010, Adventure Time a été un tremplin pour des artistes/graphistes/scénaristes qui ont pu développer d’autres séries au fil du temps : Steven Universe de Rebecca Sugar (2013) et Over the Garden Wall de Patrick McHale (2014), Summer Camp Island de Julia Pott (2018)… La liste est longue et prouve à quel point la série a pu être un des piliers de Cartoon Network durant cette décennie en créant un écosystème reconnu pour sa qualité – à côté de séries comme le Regular Show et Gumball – tout en étant elle-même un succès public et critique tout au long de sa vie. Sans oublier le fait que d’autres membres de l’équipe ont aussi créé leurs séries sur d’autres chaînes, comme Luke Pearson et son Hilda sortie récemment sur Netflix.

Will happen, happening, happened

Difficile de parler d’Adventure Time sans partir dans tous les sens à l’image de la série, mais tentons tout de même la chose. Au cours de ses dix saisons, la série a su développer un ton et une ambiance particulières qui ont été ses mantra : à savoir un ton absurde où l’humour enfantin côtoie le nonsense de manière permanente d’un côté et une créativité artistique sans borne de l’autre. Chaque épisode est l’occasion de montrer la diversité du monde de Ooo, où le royaume des bonbons côtoient le monde du feu ou celui de la bave – sans oublier le royaume des Glaces – ainsi que les différentes formes de Jake, qui peut se transformer en ce qu’il souhaite, parfois (souvent) en dépit du bon sens.

Forcément, avec une telle diversité, Adventure Time met en scène une palanquée de personnages secondaires : des réguliers qui deviennent au fil du temps des personnages principaux (Chewing-gum, Marceline la vampire, le Roi des glaces/Simon ou encore BMO la console de jeu douée de conscience) et plein d’autres qui interviennent de temps à autres au fil de la série, qu’ils soient gentils ou méchants (le Roi-Liche, Prismo, Gunter, la Trompe, le Roi de Ooo, Susan…). Une diversité, tant dans le design que dans les personnages et les aventures qui y sont liées, qui montre que l’univers et le lore d’Adventure Time est d’une richesse incroyable, sans pour autant faire de l’ombre aux aventures vécues par nos deux héros.

And there we are again and again

Généralement le format dix minutes a une qualité et un défaut : la rapidité fait que l’on ne s’ennuie pas ou moins que sur des épisodes plus longs ; mais cela peut se faire au détriment de l’écriture globale de la série, la rendant de fait oubliable. Adventure Time réussit à concilier un rythme enlevé tout en ayant une écriture de qualité, en faisant évoluer et grandir ses personnages et en développant son univers par petites touches via l’histoire de ses anciens protagonistes – la construction du royaume Bonbons ou tout l’arc autour de Simon et de la Couronne des Glaces. Mais la série sait aussi par moment se poser et se détacher du format “un épisode/une aventure” pour explorer la psyché de ses personnages : le mal-être de Finn qui ne ressent plus rien, la parentalité de Jake qui se prend pour sa mère, la paranoïa de Chewing-gum, le deuil de Marceline vis-à-vis du passé et le traumatisme de la destruction dont elle a été témoin ou la culpabilité de Simon qui se répercute sur le roi des Glaces. Des thèmes matures et variés qui ajoutent une vraie profondeur à la série ; cette volonté se poursuit d’ailleurs jusqu’à la fin, notamment avec Betty ou le couple Marceline/Chewing-gum.

Autre chose appréciable, Adventure Time n’a jamais oublié que le monde de Ooo était en évolution constante et qu’elle ne faisait que saisir un instant T de ce monde. Elle n’hésite pas à montrer donc le passé, mais aussi l’avenir, par petites touches – comme la dernière minute de la saison 5 – ou en y mettant en scène un épisode entier sans pour autant trop insister sur cette incongruité, comme dans Graybles 1000+. Adventure Time prend le parti de raconter son monde par les détails et l’image plus que par le dialogue ; autant ce parti-pris laissait parfois à désirer dans les quatre premières saisons, autant l’équilibre trouvé à partir de la cinquième saison rend le tout passionnant à regarder et à analyser.

Dans la même veine, Adventure Time a aussi évolué dans la forme. Aventures d’un épisode qui peuvent varier graphiquement – ici un épisode en pâte à modeler et stop motion (Bad Jubies), là un épisode numérique (A glitch is a glitch) – et artistiquement – comment ne pas citer ici Food Chain de Masaaki Yuasa – qui sont toujours justifiés et entrent parfaitement dans l’esprit de la série. Mais aussi en développant à partir de la septième saison des arcs longs de huit épisodes, faisant office de mini-série, centrés sur un ou plusieurs personnage – Stakes, Islands et Elements – et permettant d’approfondir grandement leurs histoires (même si Elements se veut plus centrée sur le monde de Ooo en général). Il en va de même pour le final de la série, Come along with me, qui fait aussi office de mini-arc à lui seul, avec ses 44 minutes de conclusion. On peut aussi noter l’augmentation du nombre de chansons à partir de la cinquième saison – Jeremy Shada (Finn) et Olivia Olson sont impeccables dans ce domaine d’ailleurs – qui permettent aussi de varier les séquences au sein d’un épisode et d’évoquer les troubles ou les envies des protagonistes de façon plus efficace qu’un simple dialogue ou monologue.

Bonne ambiance avec le Liche.

That’s why / You and I will always be best friends

Ce final résume d’ailleurs parfaitement l’esprit de la série. En choisissant de mettre en scène deux temporalités (présent/futur) sans pour autant expliciter le futur pour se focaliser sur le présent et ses personnages de toujours, Come along with me met en scène un monde où la vie suit son cours, où le monde se renouvelle et évolue sans cesse, peu importe les héros et les Princesses qui l’habitent. Le monde continuera de vivre, les héros et héroïnes continueront à exister à travers le temps pour sauver le monde. Seulement, il s’agit d’une autre histoire, plus celle de Finn et de Jake ; et c’est ce qui en fait à la fois une fin forcément douloureuse (quitter des êtres chers) mais aussi satisfaisante. Car ce qui compte au final, et les deux dernières minutes le montrent très bien, ce sont les personnages, pas les aventures en elles-mêmes. Adventure Time l’avait bien compris ; les larmes de John DiMaggio ou d’Olivia Olson (Jake et Marceline) lors du dernier panel du Comic-con en juillet dernier le montrent bien.

Alors bien sûr, la séparation est délicate et Cartoon Network perd ici une, voire la meilleure (à voir la suite de Steven Universe), de ses séries. Mais BMO le dit si bien en chantant Time Adventure : il semble impardonnable qu’une bonne chose se termine, mais nous pourrons toujours retourner dans le monde de Ooo quand bon nous semble. Et rien ne nous y empêchera, encore et encore, pour toujours.

The fun will never end, it’s Adventure Time!

Adventure Time, série créée par Pendleton Ward, 10 saisons (283 épisodes), Cartoon Network, diffusion terminée (diffusée sur Cartoon Network France / sur Netflix pour les trois premières saisons).

PFloyd lui attribue la note de :
8.5/10

En bref

En l’espace de dix saisons, Adventure Time s’est imposée comme une référence de l’animation américaine. Une pépite ludique, inventive et qui a toujours su se renouveler jusqu’à son dernier épisode, à découvrir sans plus attendre.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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