[Critique Film] – Coma

Coma

C’est le cas de le dire, « Coma » ne ressemble à rien, si ce n’est à une recherche esthétique et intime parmi les plus radicale orchestrée par Bertrand Bonello. Invisible depuis la crise du Covid, le cinéaste fait de celle-ci le point nodal de ce petit long-métrage aux allures de lettre à la jeunesse, officiant ainsi dans la continuité de « Nocturama » (2016) et « Zombi Child » (2019). Le film commence en reprenant, en basse résolution, des images issues de « Nocturama », lesquelles s’enchainent accompagnées de sous-titres contenant une lettre que Bonello adresse à sa fille, Anna. Un texte pétri d’amour et d’inquiétude, mais aussi et surtout dénué de repères, de fixité narrative. Par la suite, en une heure vingt, « Coma » s’adresse ouvertement aux angoisses générationnelles disséminées dans les sociétés de ce début de siècle, intervenant dans un récit sous forme de strates : la gourmandise du bien-être, le réchauffement climatique, la crise du coronavirus, la perte de soi, l’invasion du numérique, l’illusion du libre arbitre… Quasiment tout y passe ! À vrai dire, il s’agit là non seulement d’un film sans histoire explicite, mais aussi et surtout un film sans lieu : une chambre colorée de bleu et de jaune, une forêt obscure remplie de cris glaçants, des intérieurs capturés depuis des vidéos YouTube ou depuis des images de vidéo surveillance, des stock-shots libres de droit de catastrophes naturelles, des captures d’essais de « L’enfer » d’Henri-Georges Cluzot, chapitres en animation… Rien ne scintille au sein de ce filtre opaque habilement placé devant nos yeux : une fille seule dans sa chambre, des poupées animées névrosées simulant un soap subversif, Gilles Deleuze, des tueurs en série, une youtubeuse occasionnant des interludes étranges… Bref, le récit est comateux, nous appelant à sombrer dans les angoisses d’une adolescente isolée dans son confinement.

Coma

On le sait — et cela notamment depuis la crise du Covid ­— internet invite les générations ayant grandies avec lui à l’isolement, mais aussi à une certaine perte de leur individualité, des repères moraux, sociétaux, politiques, voire même culturels, si ce n’est plus encore. Ce désaxement d’une jeunesse enfermée dans sa chambre semble être ici le principal sujet d’inquiétude duquel part Bertrand Bonello, appelant à répondre, via un faux laisser-aller, à la question « qui-que regardes-tu ? » — question explicitement posée lors d’un échange par webcams entre filles. Le personnage à part entière de la youtubeuse, Patricia Coma, nous présente à ce titre « un monde qui est le nôtre et que nul n’a jamais vu », proposant notamment la vente d’une espèce de rubics-cub dont les couleurs clignotent ; le but : se souvenir de l’ordre dans lequel les couleurs ont clignoté, jusqu’à l’hypnose ! Ainsi, le film défile à la manière d’une série de sketchs relativement macabres, cyniques, percutant les coins retranchés de l’âme en offrant un lot de visions sinistres, sans pour autant basculer dans le psychologisant, mais renvoyant davantage au cloisonnement des êtres en milieu citadin, à la pression de l’enfermement et de la solitude chez soi.  D’une générosité sibylline, nichée quelque part entre « Inland Empire » (2006) et « Caché » (2006) « Coma » révèle notamment sa force au travers de son artisanat notoire : le film, malgré sa complexité théorique et narrative, est habillé des parures les plus simples, ne cherchant pas même à cacher, dans un plan, le son de la caméra panotant sur le trepied, rappelant que ce n’est là que du cinéma, calfeutrant une mise en scène hors-pairs, tant par la disposition des couleurs (une dominante jaune et bleue peut-être prophétique) que par les différents effets s’alternant selon les sketchs.

 

 

7/10

En bref

Après le consumérisme dans « Nocturama » et le colonialisme dans « Zombi Child », c’est donc la virtualité qui ici anime le multi-univers de Bonello, tournant là en autoproduction. Un film sous forme de satire publicitaire qui, comme le dit si bien son géniteur, « n’a aucun sens de l’économie actuelle », et dont le cachet politique et bien trop souligné pour qu’on l’apprécie au strict sens du terme. Toutefois, la réflexion à laquelle il invite est judicieuse, et sa mise en forme, bien qu’absconse, n’en est pas moins amusante. Étrange paradoxe, à l’image d’internet.

Boyen LaBuée

Né un peu avant la sortie du film "Matrix"

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *