Laure Portier a un frère, Arnaud, qui a eu une enfance difficile. Après avoir fait de la prison, il quitte la France pour aller en Espagne. Puis c’est le Pérou. Laure le questionne, le filme, en permanence. Il se prête au jeu, au point de se filmer lui-même quand il part et que sa soeur n’est pas avec lui.
La forme documentaire est un terrain propice à l’expérimentation, un lieu à part du cinéma dans lequel la présence de la caméra peut se faire ressentir. La personne filmée sait qu’elle l’est, et peut en parler. La personne qui filme peut intervenir. On peut l’entendre, on peut la voir.
Il y a, en France, une belle histoire du documentaire. Laure Portier la continue avec cette oeuvre originale, qui donne plusieurs grands moments de cinéma à travers la vie (pas si) simple de son frère, un « mec des cités » à qui la vie n’a rien épargné. Arnaud, c’est un homme qui aspire au bonheur, qui veut femme et enfants et une maison à la campagne mais qui ne sait s’exprimer que par la violence. Il ne boit pas, il ne fume pas, il n’a aucune envie suicidaire, mais il fait du sport à outrance et surtout, il veut quitter la France, pays qu’il n’aime pas parce que la France, de toute manière, ne l’aime pas non plus.
La spontanéité, dans le documentaire, peut être compliquée, tant le sujet peut avoir conscience de la caméra. Ici, la caméra est un personnage à part entière, dont on a conscience en permanence. Le cinéma est un personnage à part entière dans Soy Libre. Il rassemble et divise. Le même homme qui tente de se mettre en scène de manière de plus en plus élaborée quand il se filme pour sa soeur dénonce aussi ce que le milieu du cinéma pourrait dire de lui, et renvoie par la même la personne qui regarde à sa propre bourgeoisie culturelle.
Laure Portier montre son frère avec tout l’amour qu’elle lui porte, sans jamais condamner ses actes : elle dresse un état des lieux d’un homme paumé qui veut juste trouver la paix. Elle le filme en train de faire des graffitis, en train de bruler un scooter … Et renvoie, elle aussi, par là-même, la personne qui regarde à sa propre condition.
Et quand l’espace entre les deux membres de la fratrie s’agrandit, ça se ressent dans des détails parfois contrôlés (à la mise en scène), parfois pas du tout (la manière de parler de Laure Portier change, au fil du film). Dans cet espace, dans cette mise à distance et ce qu’elle engendre en tentative de reconnection, toujours sans jugement, Laure Portier fait d’Arnaud un personnage complexe, un héros de cinéma.
Soy Libre est impressionnant, émouvant, mais surtout, il dit quelque chose d’une France oubliée, une parmi tant d’autres. C’est un cinéma radical, critique du pays et de ses institutions, mais profondément humain. Un rappel que le documentaire est un genre central du cinéma, un moyen de contestation, un lieu d’expérimentation, mais surtout, un moyen de mettre l’humain au centre, parce qu’aucun geste n’est insignifiant.
SophieM lui attribue la note de :
En bref
Documentaire émouvant, Soy Libre est un grand film qui dresse le portrait profondément humain d’un homme très attachant.