[Critique Film] – Coeurs Ennemis

Grande habituée des period drama, ces films à costume historiques, Keira Knightley s’affiche depuis quelques semaines dans une robe dorée – qui n’est pas sans rappeler sa sublime tenue verte dans Atonement de Joe Wright – sur des posters d’un film dont le titre flaire bon le drame historique : Coeurs Ennemis. Et si c’est effectivement le cas, le premier long métrage au cinéma de James Kent est aussi une subtile et pudique plongée dans des vies endeuillées. Retour sur un film sorti le 1er Mai au cinéma. 

A Hambourg, juste après la deuxième guerre mondiale, c’est la reconstruction. Des officiers anglais sont assignés là-bas pour aider la ville à se remettre des lourds bombardements qu’elle a subis. Des maisons allemandes sont réquisitionnées pour loger les militaires. Lorsque Rachael (Keira Knightley) emménage dans un beau manoir avec son mari (Jason Clarke), elle ne s’attend pas à ce que ce dernier suggère que le propriétaire allemand (Alexander Skarsgård) et leur fille cohabitent avec eux. Pour ces deux familles endeuillées, l’entente ne va pas être facile, et les passions vont se déchaîner. 

Je n’ai pas d’enfants. Rare pour moi d’utiliser le « je » dans une critique, mais nous y voilà. Je n’ai pas d’enfants, et jamais un film ne me l’a autant fait ressentir que Coeurs Ennemis. 

Alexander Skarsgård, Jason Clarke et Keira Knightley

The Aftermath de son titre original (littéralement « le contrecoup », « les conséquences ») pose les bases d’un drame historique doublé d’un triangle amoureux dès le départ de son scénario. Dans de très beaux décors (que ce soit le manoir allemand, ou Hambourg détruite), une Keira Knightley mélancolique évolue, solitaire et abandonnée par son mari obsédé de travail. Dans ces décors désolés, elle n’a pour compagnie forcée que quelques servantes allemandes qui ne parlent pas anglais et Alexander Skarsgård, tout aussi fantomatique qu’elle, et pour cause : tous deux ont connu la perte d’un être cher pendant la guerre. L’un, sa femme, et l’autre, son fils. 

Coeurs Ennemis évoque beaucoup, en filigrane, le pardon et l’acceptation de l’autre. Le personnage de Keira Knightley est très dur, cruel même : elle déteste les Allemands, tous les Allemands, en ce qu’ils représentent l’ennemi et les considère tous comme responsables de la perte qu’elle a subie. Alexander Skarsgård, lui, joue un intellectuel qui n’a jamais été nazi mais qui est resté passif pendant la guerre. Par l’écriture de ces personnages aux deuils et aux rancoeurs entremêlés, c’est la grande Histoire qui est représentée par l’intime. 

Le rôle de Jason Clarke au milieu de ces deux êtres à fleur de peau, joués en toute subtilité par leurs interprètes respectifs, peut paraître au premier abord fade et froid. Pourtant, au fur et à mesure que le film se déroule, chaque personne se révèle dans son écriture et amène le spectateur – parfois sans qu’il s’en rende compte, comme ça a été mon cas – vers son réel propos. 

Jason Clarke

Car je n’ai pas d’enfants, comme je l’ai dit plus haut. Si la critique en moi voyait en Coeurs Ennemis un bon film, le genre de film à la réalisation et un montage impeccables, de superbes décors et costumes, des acteurs à la hauteur et, pour ne rien gâcher, une musique et un travail sur le son jamais en reste, je restais quand même perplexe face aux choix des personnages, et surtout ceux de Rachael. Mais, à la fin du film, s’est passée une chose que je n’aurais pas pu imaginer et que je ne peux pas expliquer : j’ai réalisé que j’étais bien arrogante de juger les protagonistes. 

Dans ses dernières minutes, Coeurs Ennemis m’a amenée à sa finalité, dans un endroit qui fait mal : avec pudeur, il dévoile l’ineffabilité du deuil. C’est dans le vertige de ce qui ne peut pas être dit que le film prend toute son ampleur. Je n’ai pas d’enfants, et dans son traitement si juste, Coeurs Ennemis a réussi à me faire comprendre ce qu’était la perte d’un enfant parce qu’il n’a justement pas essayé de me l’expliquer. Il n’est pas garanti que la magie qui a opéré pour moi dans cette dernière scène fonctionne pour tout le monde, mais dans ma tête sont longuement tombés les flocons de neige sur le toit d’un manoir à Hambourg, bien après la fin du générique. 

SophieM lui attribue la note de :
8/10

En bref

Derrière des affiches trompeuses qui présentent un drame historique doublé d’un triangle amoureux se cache une oeuvre très travaillée sur la douleur et l’intime.

SophieM

27 ans. Militante féministe, libraire de métier. Je vis pour le fromage.

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