[Critique Film] – La Brigade des 800

La brigade des 800 - affiche

80 millions de dollars de budget, un tournage impressionnant avec la reconstitution d’immeubles entiers, l’utilisation de caméra IMAX pour fournir un visuel digne des plus grandes productions actuelles… Inutile de dire que pour raconter un des épisodes majeurs de son Histoire récente, le cinéma chinois a mis les petits plats dans les grands. Sortant enfin en Blu-Ray/DVD dans nos contrées après plus d’un an d’attente, il est temps de voir si La Brigade des 800 est à la hauteur de sa réputation technique.

Petit point historique : La Brigade des 800 relate le siège de l’entrepôt Sihang à Shanghai par l’armée japonaise au début de la guerre sino-japonaise de 1937. Début d’une longue période guerrière en Extrême-Orient – où l’Empire japonais va tenter d’annexer bon nombre de colonies et pays jusqu’à sa capitulation en 1945 – cet épisode est un moment fondateur de la Chine contemporaine, désunie à l’époque par les guerres civiles et surtout très pauvre. Une sorte de Verdun (si l’on peut trouver un équivalent côté français), où l’on crée une identité et une fierté nationales que l’on peut attiser au fil des générations et des régimes politiques.

Inutile de dire que Guan Hu a une sacrée pression sur les épaules. Pression encore plus forte au vu des financements acquis, preuve de la volonté de Pékin de dépoussiérer l’Histoire et d’en mettre plein les mirettes à son peuple et au monde entier. Et malgré quelques effets visuels pas toujours réussis – notamment le rendu de la concession étrangère de Shanghai la nuit, dont les lumières bavent un peu trop – La Brigade des 800 réussit globalement son pari. La mise en scène est propre et globalement lisible quand l’action s’emballe, les cadres sont le plus souvent léchés et offrent au film certaines séquences très fortes – comme ce drapeau républicain hissé sur le toit de l’entrepôt dans la même veine que ce drapeau russe à la bataille d’Austerlitz dans Guerre et Paix.

La Brigade des 800

La Brigade des 800 est à l’évidence un divertissement très honnête. Sa longue durée (149 minutes) ne se ressent que rarement, les séquences d’action succèdent à des scènes où nos 452 ou 423 hommes (car oui, il y a débat et le chiffre 800 est un mensonge destiné à faire peur aux Japonais) d’origines diverses apprennent à se connaître. Malheureusement, le trop-plein de personnages mis en avant nous perd un peu (sachant qu’ils manquent souvent de caractérisation) mais certaines trognes marquent tout de même l’esprit, tout comme leurs échanges au fil du film, où une vraie alchimie se développe.

Cependant, sa musique omniprésente et assez assommante par moment agace par moment. Sa construction, en alternant action et dialogues souvent lambda, le rendent aussi prévisible. En voulant faire un blockbuster à l’américaine, Guan Hu et ses équipes en ont aussi pris les défauts du genre. Il serait injuste de lui en vouloir de ce côté-là et d’enfoncer son film pour cette raison ; mais il n’empêche que cela alourdit un film qui n’en avait pas besoin.

Car le traitement du sujet lui-même est le plus gros souci de La Brigade des 800. Passons outre les erreurs historiques, même si certaines peuvent agacer – après tout, nous sommes face à une fiction, pas un documentaire. Le souci est qu’il s’agit d’un film mémoriel sur lequel on greffe d’autres enjeux idéologiques. Si la lutte d’un bataillon inexpérimenté contre une armée suréquipée et redoutable peut facilement flatter le patriotisme de n’importe qui, elle n’en reste pas moins la mémoire et la lutte d’un autre régime que la République populaire. L’entrepôt Sihang, c’est l’armée nationale révolutionnaire du Kuomintang et non celle de Mao. Si le drapeau hissé en haut de l’entrepôt est en grande partie rouge, il contient le Soleil bleu avec un soleil blanc du Taiwan contemporain, pas celui avec la faucille et le marteau. Si le 88e bataillon est un assemblage de bric et de broc, il n’en reste pas moins extérieur au communisme.

La Brigade des 800

Tout au long du récit, on sent la volonté de Guan Hu de concilier la chèvre et le chou, avec ce discours nationaliste exalté ou la volonté de mettre en avant certains personnages qui symbolisent l’unité du pays (comme ces étudiants mis en avant par leur courage de rejoindre le bataillon) pour satisfaire le pouvoir en place, tout en se refusant de passer sous silence le contexte républicain de l’événement (ce qui aurait été un grossier révisionnisme). Un entre-deux sur le papier qui amène forcément quelques contorsions narratives et historiques : le film évoque ainsi un discret et anonyme Généralissime à deux reprises ; et le drapeau du toit n’est que suggéré dans un plan bref, noyé dans une brume numérique. En soi, sur des sujets du même type, on sait que les films ont tendance à évacuer certains aspects de l’Histoire pour ne garder que ce qui fera consensus auprès du grand public ; le cinéma reste un divertissement qui doit plaire au plus grand nombre.

Sauf qu’ici, l’écriture est bien trop plate et prévisible pour que le film s’en sorte sans dommage. On voit les coutures de l’auto-censure pour plaire au régime, on perçoit certaines lignes de dialogue rajoutés ici et là pour mettre en avant certains personnages qui n’auront plus d’importance par la suite et on devine que la morale finale est de glorifier la nation par son sens du sacrifice et sa résilience. La Brigade des 800 est même parfois malhonnête dans son traitement, en multipliant le sang et les blessures ou morts à l’écran, là où dans la réalité on ne compte que dix morts et une trentaine de blessés côté défenseurs sur l’entièreté du siège.

Des artifices qui rendent le résultat final pénible à terminer, pour peu qu’on y soit sensible. Et il est dommage d’avoir voulu en faire autant sur ces aspects, vu la qualité technique et le rythme agréable du film. Il ne fait aucun doute que La Brigade des 800 plaira aux amateurs de grand spectacle ; pour les autres, il restera un beau film que l’on regarde avec un ennui poli et avec l’impression d’avoir déjà vu ça un millier de fois.

PFloyd lui attribue la note de :
5/10

En bref

Techniquement abouti, La Brigade des 800 souffre d’une écriture trop frontale et unidimensionnelle pour réellement convaincre et dépasser l’ennui poli. Un divertissement qui saura en convaincre certains, si le discours rentre-dedans patriotique et militaire ne vous gêne pas.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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