[Critique Film] – Turning Gate

Affiche du film Turning Gate

Gyung-Soo, acteur désemparé par son premier échec au cinéma, quitte Séoul afin de retrouver Song-woo, une ancienne connaissance devenue écrivain, qui l’invite. Ce dernier lui présente Myung-Sook, une danseuse semblant être tombée amoureuse de Gyung-Soo sans que cela ne soit vraiment réciproque.
Après son départ, Gyung-Soo tombera lui aussi dans le piège de l’amour impossible.

Hong Sang Soo réalise avec Turning Gate un film caractéristique de son œuvre laissant un étrange sentiment d’apaisement légèrement douloureux. Comment le cinéaste Coréen parvient t-il à nous captiver en décrivant une tranche de vie pourtant particulièrement banale ? Cela tient sans doute en partie à plusieurs petites scènes à priori peu significatives mais révélatrices de la personnalité des personnages, rendant le récit tantôt amusant, tantôt gênant, ou plutôt les deux : Gyung-soo, le personnage principal, épiant une femme accompagnée d’une façon peu discrète au restaurant et essayant ensuite de se rattraper aux branches, ce même Gyung-Soo qui se réapproprie la fameuse phrase « Je sais qu’il est difficile de rester humain, mais essayons de ne pas nous comporter comme des monstres. » entendue au début du film qu’il semble trouver particulièrement à son goût sans qu’elle n’ait vraiment l’effet souhaité… ou encore, ces scènes de beuveries propres au cinéaste, ne laissant pas de doute sur les difficultés des personnages à trouver un sens à leur vie, et leur souhait de rechercher un échappatoire à une existence manquant de transcendance.

Repas avec soju

Une bouteille, deux bouteilles, trois bouteilles… bienvenue chez Hong Sang-Soo !


De transcendance, il n’en est effectivement pas question dans ce film : Hong Sang Soo aborde des situations de la vie quotidienne sans nier une seule fois leur banalité, voir leur côté pathétique (la scène ou Song-woo, l’ami de Gyung-Soo, passablement alcoolisé, dispute ce dernier et finit par pleurer sans que l’on ne sache réellement pourquoi, laissant supposer un certain désespoir existentiel).

Hong Sang Soo manie également l’ironie avec une certaine intelligence : lorsque Sang-Woo lui raconte la légende de la porte tournante donnant son titre au film, Gyung-Soo s’amuse de ce qui lui semble être une fable farfelue, puis émet un bâillement non retenu… sans savoir alors qu’il réadaptera bien malgré lui cette légende dans le cadre de ses mésaventures amoureuses.

Les méthodes de travail de Hong Sang Soo ont déjà à plusieurs reprises fait parler d’elles : les acteurs reçoivent très peu d’indications, misant sur le naturel et la spontanéité, et le cinéaste coréen n’hésite d’ailleurs pas à inviter le soju sur les lieux de tournage. Est-ce pour cela (entre autres) que les scènes de la vie filmées par le réalisateur sonnent si justes, jusqu’à nous renvoyer à notre propre existence et ainsi parvenir à nous toucher ?

Turning Gate : scène du restaurant

Le soju représenterait approximativement la moitié du budget du film


Turning Gate ne laisse également que peu d’illusions sur les relations humaines et amoureuses : lorsque Gyung-Soo et Song-Woo rencontrent des connaissances de ce dernier avant de se rendre à la fameuse porte tournante (qu’ils ne visiteront finalement pas) cela ne débouche après présentations que sur un silence pesant, comme si en dehors des formalités d’usage, ces personnages n’avaient absolument rien à se dire.
Il est bien évidemment difficile d’évoquer ce film sans parler des relations amoureuses, au cœur du scénario. Le point de vue du cinéaste à ce sujet est également peu optimiste : l’amour ne semble apporter que moments de gêne (Gyung-Soo se trahissant tout seul lorsque sa prétendante lui demande si il l’aime, indiquant clairement sans le vouloir que ce n’est pas le cas), déception, envenimant de surcroît les relations amicales.

Le personnage de Gyung-Soo allongé

La gêne est de façon générale très présente dans le film et particulièrement bien retranscrite, atteignant son paroxysme lors de la scène ou Gyung-Soo fait une rencontre assez embarrassante avec la famille de sa bien aimée.
Tout cela pourrait facilement être ennuyeux si le jeu des acteurs, les situations, et les dialogues ne sonnaient pas aussi juste, effectuant un écho troublant avec la vie réelle. La très réussie scène du restaurant, à titre d’exemple, fonctionne uniquement sur le jeu des acteurs, leur gestuelle (qui constituera d’ailleurs un élément déclencheur dans les souvenirs de Gyung-Soo de très belle manière), et les moments de silence gênés.

Si tout le monde n’appréciera pas le cinéma particulier de Hong Sang Soo (rythme lent, beaucoup de dialogues…), il n’en demeure pas moins que la simplicité et l’épure dont il fait preuve apportent une certaine fraîcheur dans le cinéma du 21ème siècle. Particulièrement caractéristique de son style, Turning Gate constitue un bon point d’entrée dans l’univers du cinéaste, à apprécier avec ou sans soju.

Slowvlaki lui attribue la note de :
8/10

En bref

Turning Gate est un film idéal afin de découvrir le style particulier de Hong Sang Soo, sans doute ici plus accessible que ses trois premiers films.

Slowvlaki

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