[Critique Film] – Body Double

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À l’orée des années 1980, après l’échec de Blow Out, Brian De Palma, alors déjà mondialement connu pour ses films clinquants et maniérés, sent son phébus hitchcockien se briser. Mais par la suite, le succès de Scarface lui offre la preuve qu’il est parfaitement capable de s’épanouir à travers de nombreux genres radicalement opposés, sans pour autant bénéficier d’un accueil critique favorable. Quoique fasse le cinéaste encore en activité de nos jours, il créé la polémique et sait diviser la majorité des spectateurs. Qu’il sorte un film inclassable (Phantom of the Paradise), taquine violemment le mauvais gout (Carrie), sorte des films de studios à gros budget (Mission : Impossible) ou déchaine les émotions aux cotés d’un spadassin rital (Carlito’s Way), il récolte autant les injures que les éloges. Mais il est un genre dans lequel le bougre, particulièrement éclectique, s’est illustré tel un maitre, et où son style est immédiatement identifiable entre mille : le thriller érotique sophistiqué, de préférence avec un twist en guise de fin. Et si le niveau avait déjà été placé très haut avec Obsession (1976) et Pulsions (1980), « Body Double », sorti en 1984, s’impose d’emblée comme une forme de fantasme cinématographique ultime.
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Body Double est une œuvre emblématique de De Palma, car, d’une part, il s’agit de son thriller le plus complet, et d’un point de vu axiomatique, l’un de ses aboutissements. Se présentant dans sa forme comme une relecture de Vertigo, le film déforme néanmoins le cadenas hitchcockien pour en extraire sa substance, la remettant au gout des années 1980. À travers ce faux-remake, Brian De Palma articule ses obsessions : voyeurisme, meurtre, twist à répétition, figure trompeuse d’une femme mystérieuse, comme il l’avait déjà fait dans Pulsions, autre relecture d’un film d’Alfred Hitchcock : Psychose. Maitre de sa grammaire cinématographique, le réalisateur ne voit cependant pas Hitchcock comme un modèle, même si l’esthétique de Body Double rend de nombreux hommages au major. Il semble davantage le considérer comme un terrain de jeu expérimental, un kaléidoscope dont les codes cohérents seraient à réinterpréter. Via ce minimalisme édulcoré, les personnages occupent également une place très importante : dans Obsession, le héros est victime de sa propre malédiction, se déployant sur sa culpabilité. Dans Pulsions, c’est la banalité qui aliène le protagoniste. Pour Body Double, Jack est victime de sa naïveté, de sa timidité, de sa frustration.
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Body Double vise ainsi deux thématiques très distinctes : d’un coté, le désir sexuel, ainsi que le désir de protéger, guidant l’action des protagonistes. De l’autre, le rapport étroit entre la réalité est l’illusion, qui se distingue dès le générique, lorsque les lettres du titre apparaissent sur un panorama désertique digne d’une introduction de western, avant que ce dernier ne se déplace pour figurer dans le cadre tel un banal fond de décor.
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Si il garde une cohérence tout le long de sa durée, Body Double se présente donc sous deux facettes, dont la frontière apparait grâce au chemin dramatique emprunté. Jusqu’au décès de Gloria, De Palma nous emporte dans un drame intime : celui d’un homme esseulé, socialement autant que sexuellement. Petit malin ayant pleinement conscience de sa malignité, Brian De Palma, bougre « auquel-on-la-fait-pas », ne cesse pas ces provocations esthétiques polarisant les regards, mais ne livre ici ni une comédie, ni un film inclassable, ni un récit d’épouvante, et encore moins un thriller. Il est plus accessible de percevoir « Body Double » comme un méta-film, in-fine tout aussi proche de Boulevard du Crépuscule ou Mulholland Drive que d’un sombre voyage hitchcockien. Fétichisme, voyeurisme, fascination, le film impose à son héros le sexe comme source de ses ennuis, mais aussi comme la résolution définitive à ses problèmes. Car Brian De Palma constitue une forme de parallèle entre l’homme incapable de jouer et l’homme incapable de bander. La claustrophobie de Jack ne serait-elle qu’une métaphore de son sexe bouclé dans sa braguette ? Caractérisé par une atmosphère envoutante, Body Double  redonde les symboles phalliques, et notamment lors de la séquence du meurtre, très explicite, mais chorégraphiée avec une aisance si forte qu’elle s’impose d’emblée comme l’analogie entre la mort et le sexe, mais aussi comme une allégorie particulièrement malsaine du malheur sexuel de Jack.
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Ce qui interpelle immédiatement dans Body Double, c’est aussi cette nature fugitive de l’image, comme si cette dernière était insaisissable. Didactique, Brian De Palma va ainsi au-delà d’un simple film matriciel, mais nous fait pénétrer en douceur dans un espace psychologique clos. À la lisière du fantastique, mais aussi par conséquent de la perte d’équilibre, le film dresse une atmosphère où l’on sait que l’impensable va se produire. Ainsi, alors que nous ne sommes jamais pris par la main, nous ne pouvons qu’être attirer par ce qui se déroule sous nos yeux comme si il s’agissait de la gravité. Maitrisant la mise en scène de l’illusion se caractérisant par l’utilisation de faux-semblants, Brian De Palma parvient à capter l’invisible, le cœur même des êtres qu’il filme, poussant la mise en scène du dédoublement tellement loin que le métrage finit par coller le vertige.
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On le sait, De Palma aime achever ses films sur une séquence d’antologie. À première vue, le final de Body Double semble minimaliste, exsangue et vulgaire. Pourtant, il est bel-et-bien le point culminant du film, montrant en quelques secondes ce que le reste du film à laisser filer sous nos yeux pendant deux heures. Il s’agit d’un véritable pied de nez adressé au spectateur, car on sait également que De Palma aime boucler la boucle, fermant son film comme il le commence. Et avant d’arriver à la séquence finale, on notera que le réalisateur de Phantom of the Paradise  signe son film avec une envergure de style immense, englobant les sens tout en les perturbant jusqu’au boutiste.

La séquence finale fait à nouveau référence à une analogie entre la mort le sexe, tout en achevant la métaphore du titre « doublure de corps » ; et en effet, nous y voyons, sur un tournage, une actrice se faire remplacer par une doublure pour une scène de sexe. La séquence est très intéressante, car elle nous met directement à la place de Jack. Nous sommes les voyeurs, nous pensons voir une actrice connue, nous ne voyons en réalité que sa doublure. Encore une illusion, une pure mise en abîme.

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Et la scène soulève également plusieurs questions, car nous y retrouvons Jack dans un rôle qui ne lui appartient plus, ce premier s’étant fait virer par le réalisateur. Heureusement, difficile de se constituer une interprétation, car cette fois, l’illusion est totale. Est-ce une prolongation de la première scène du film ? Jack et le réalisateur se sont t-ils réconciliés après que Jack ai réussi à vaincre sa claustrophobie ? Ou ces dernières minutes sont-elles un fantasme ?
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Body Double est donc bien plus qu’un simple délire. À un degrés bien plus poussé qu’Obsession et Pulsions, il s’agit davantage d’un film mettant en exergue les apparences. Le cinéma n’est pas une magie, c’est un mensonge, car il se compose d’images. Un telle richesse cumulée en à peine deux heures donne presque froid dans le dos, amplifiée par une inventivité visuelle sans faille et présente sur chaque plan.
Kiwi_ lui attribue la note de :
10/10

En bref

Tout simplement la gnoséologie de la société contemporaine. Quand les forces obscures serpentent dans les yeux… Brillant, juste brian.

Boyen LaBuée

Né un peu avant la sortie du film "Matrix"

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