[Critique Film] – Hospitalité

Hospitalité

Particulièrement productif, avec notamment deux nouveaux long-métrages à venir cet été, le cinéma de Kôji Fukada débutait, déjà en 2011, avec une étude des mœurs de la société japonaise contemporaine. Avant les troublants « L’Infirmière » (2020), « Harmonium » (2016) et « Sayonara » (2015), le cinéaste plaçait dans sa ligne de mire, avec « Hospitalité », la xénophobie et les réflexes nationalistes persistant dans l’archipel nippon, alors même que sa population vieillissante a plus que jamais besoin des étrangers. S’y narre l’histoire des Kobayashi, vivant d’une imprimerie en plein cœur de Tokyo, laquelle va se voir progressivement envahir par un vieil ami de la famille. De ce synopsis, Fukada produit un film léger, laissant deviner ses racines rohmeriennes qu’il exhibera par la suite, en 2013, avec « Au revoir l’été », lequel revenait sur la catastrophe de Fukushima. De ce dernier, « Hospitalité » dispose de ce rythme, relativement déstabilisant, quasiment dénué de plan large (sauf quand il y a une autoroute dans le champ) mais aussi de ce montage frontal attisant les tensions et l’attention. Vient notamment, dès le premier plan, cette maison paumée au milieu des hautes herbes, la caméra panotante dévoilant aux alentours des ponts de chemins et fer et d’autoroutes, avant qu’un cut ne sous ramène directement, sans explication aucune, à une rue tokyoïte. Choc que l’on retrouvera plus tard dans le film, alors que les Kobayashi rentrant chez eux trouvent sous leur toit une jeune occidentale vêtue d’une serviette de bain.

Hospitalité

Arguant un pitch vu et revu, non sans évoquer « Théorème » (1968) et son remake nippon, « Visitor Q » (2001), « Hospitalité » tire cependant une certaine originalité du genre du film de famille japonais, notamment en s’axant sur la pudeur des sentiments, laquelle sera brisée par l’expérience inconfortable mais enrichissante de l’acceptation de l’autre. Parcouru d’un humour autant discret que parfois insistant, le film s’attache à laisser ressentir une grande compréhension de ses personnages mais peine à les faire exister, ne parvenant pas à cacher un certain manque de souffle, un cachet brouillon. Fukada n’entre pas chez ses personnages, mais se contente de les observer via une approche assimilable à une recherche puisant, de son propre aveu, dans la conférence de Jacques Derrida intitulée… « De l’hospitalité ». Rapidement, l’invité des Kobayashi va prendre le pouvoir sur leurs demeures, révélant les considérations que lui attribue Fukada, à savoir celles d’un « révolutionnaire philosophique », haranguant le dernier acte du film de fantaisies utopistes, accueillant l’inespéré, mettant l’accent sur la nécessité de la rupture avec l’entre soi sous couvert de pudeur et d’exigences quotidiennes. En tant que critique, voilà que l’on pourrait disserter sur ce vaste sujet qu’est l’hospitalité, mais nous commettrions alors la même erreur que Fukada face à sa fiction : nous laisser leurrer par l’apparat philosophique d’un tel sujet. Car le langage visuel développé par « Hospitalité » n’est pas sans être rudimentaire, l’identité artistique de son cinéaste et de son équipe n’étant encore que naissante. Les cadres se contentent d’être travaillés, les comédiens se contentent de bien jouer, la chronique sociale se contente simplement d’exister sans que son illustration ne cherche à masquer un manque d’idées.

Boyen LaBuée lui attribue la note de :
6/10

En bref

Pamphlet contre l’exclusion, éloge de la réception, « Hospitalité » peine à convaincre, même en ces temps où la crise sanitaire fait de son sujet une actualité cuisante, alors que les Jeux Olympiques de Tokyo, prévus cet été, ne recevront aucun spectateur étranger. Se déverse malgré tout une certaine perplexité face à ce film que l’on a envie d’aimer pour son simple message invitant à muer notre vision des choses, mais illustrant davantage son sujet qu’il ne l’explore, laissant le spectateur s’en aller sans émotion, mais avec sympathie. Dommage qu’il s’agisse là plus d’un croquis que d’un dessin… Si seulement son cinéaste se montrait plus accueillant !

Boyen LaBuée

Né un peu avant la sortie du film "Matrix"

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