[Critique Série] – Chernobyl

Chernobyl

Le 26 avril 1986, à 1h23 du matin, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Cet accident, peu l’ont oublié en Europe à cause des retombées radioactives dans les différents pays du continent (et du fameux anticyclone qui protège la France) ; mais au final, mis à part une production documentaire plutôt conséquente (notamment en France), peu de fictions ont pris pour sujet principal cette catastrophe. Aux Etats-Unis, si le dernier Die Hard et un opus de Transformers y passent rapidement (avec un réalisme confondant), Tchernobyl n’était cité à la télévision qu’au détour d’un épisode de Scorpion et de MacGyver (le reboot). Chernobyl de Craig Mazin s’ajoute à cette courte liste ; et c’est bien le seul point commun entre elle et ses comparses.

Parce qu’au niveau de la qualité desdites œuvres, il y a clairement un gouffre abyssal qui sépare Chernobyl des autres. Pourtant, au vu du pedigree du Monsieur (Scary Movie 3 et 4, Very Bad Trip 2 et 3, entre autres), on pouvait clairement être surpris de le voir traiter d’un tel sujet ; son pari est réussi, haut la main. Si certaines libertés sont prises avec l’Histoire (dans les dates notamment), le récit retranscrit très bien l’ampleur du désastre, l’incompréhension de tous face à cette catastrophe ainsi que la faillite du système soviétique dans sa globalité (ce sont les autorités suédoises qui contacteront l’AIEA pour l’avertir qu’une catastrophe nucléaire a eu lieu quelque part en Europe). Pour ce faire, Mazin a effectué beaucoup de recherches qu’il a aimablement fait partager sur Twitter et que je vous invite à consulter si jamais vous souhaitez en apprendre plus sur la catastrophe. Aussi, les théories alternatives sur la catastrophe (le tremblement de terre ou l’implication de hauts responsables politiques corrompus) ne sont pas retenues ici.

https://twitter.com/clmazin/status/1135766541843066880

Dans la même veine, la mise en scène confiée à Johan Renck (qui a fait ses gammes à la télévision avec Breaking Bad puis sur d’autres séries AMC) est de qualité sur les cinq épisodes de la série (on retrouve par ailleurs des prises de vues reprenant les photographies d’Igor Kostine ou du KGB) et l’interprétation globale des acteurs et actrices est excellente, du premier au dernier rôle. En tant que série mémorielle, Chernobyl est un succès : elle permet de se rendre compte de l’impact de la catastrophe tout en allant au bout de son propos sur le nucléaire, sur le poids du mensonge et ses conséquences sur les personnes qui y ont été exposées. Car aucun être humain vivant dans la Zone ou ayant travaillé en tant que liquidateur n’y est ressorti indemne ; que ce soit physiquement ou moralement, et ce, parfois des années plus tard. Petite cerise sur le gâteau, la bande-son composée par Hildur Guðnadóttir (avec son compteur Geiger affolé) est aussi d’excellente qualité (vous pouvez aller l’écouter ici). Quant à l’utilisation de l’anglais, elle aurait été gênante si la série aurait alterné avec le russe ; or ici elle ne choque pas vu qu’elle est l’unique langue parlée dans la série. Sachant qu’en plus ce procédé est utilisé dans tous les pays, il parait un peu hypocrite d’attaquer Chernobyl sur ce point – à moins que l’on s’amuse à critiquer une bonne partie de la production cinématographique depuis ses origines.

Chernobyl

Les mineurs de Toula venus creuser un tunnel sous la centrale pour y installer un dispositif à l’azote. Au final, du béton sera coulé dans la galerie (HBO/Sky)

Pourtant, Chernobyl n’est pas exempte de défauts ; pour faire court, elle en compte deux, un mineur, l’autre majeur. Le défaut mineur est lié à l’arc de Luydmilla Ignatenko (Jessie Buckley) et de son mari pompier et gravement irradié la nuit de la catastrophe. Il s’agit pour la série de représenter la catastrophe du point de vue de la population en prenant un « exemple » parmi d’autres, mais l’arc, qui dure quatre épisodes sur les cinq de la série, peine à émouvoir, la faute à une écriture un peu plate et à des séquences trop courtes et trop espacées pour que l’on puisse réellement saisir l’ampleur de la tragédie qui se joue. L’émotion ici vient plus du maquillage sur le corps d’Adam Nagaitis (oui car Chernobyl montre aussi les conséquences des radiations sur le corps, soyez prévenu.e.s) que sur la situation en elle-même. Dommage car cette histoire, qui peut se répliquer sur une dizaine de cas, est en soi proprement bouleversante ; elle mal mis en valeur ici.

L’autre défaut, majeur me concernant, concerne l’angle d’attaque de la série. Chernobyl est une série mémorielle à destination première d’un public non-européen qui connait peu ou pas la catastrophe. Son but est donc de raconter les conséquences de l’explosion du réacteur n°4 ; et de fait, elle compresse tous les éléments cités plus haut en cinq petites heures, là où une quinzaine n’aurait même pas suffi à dépeindre rien que la liquidation de la Zone. On se retrouve donc avec des bouts de chaque épisode de la catastrophe assemblés les uns avec les autres, avec comme liant les séquences mettant en scène Valery Legassov, Boris Shcherbina et Ulana Khomyuk (personnage inventé qui représente les scientifiques présents dans la Zone). Loin d’être mauvaises, ces séquences sont beaucoup trop courtes pour rendre compte du boulot abattu par les personnes sur place et de l’ambiance globale sur le terrain. Il en va de même pour les populations déplacées, quasiment invisibles dans la série alors qu’elles ont été en première ligne de la contamination radioactive (doit-on préciser qu’il aura fallu 36 heures pour que Prypiat soit évacuée ?) et parfois relogées (sans qu’on leur demande leur avis) dans des zones contaminées.

Chernobyl

Emily Watson en Ulana Khomyuk (HBO/Sky)

Alors oui, HBO n’avait sûrement pas donné une enveloppe conséquente à Mazin pour qu’il puisse s’attarder sur tel ou tel élément et mettre en scène l’exode de 10 000 personnes. Mais peut-être aurait-il fallu faire un choix sur les éléments à mettre en valeur : axer chaque épisode sur un moment en particulier, de manière exclusive (un épisode sur les liquidateurs dans la campagne ukrainienne, un autre sur les bio-robots, un sur la manière de fermer le réacteur…) ou bien privilégier un regard par le bas (en suivant des liquidateurs tout au long de la série) ou par le haut (en restant avec Legassov). En soi, Chernobyl fait le second choix mais alterne souvent entre les points de vue et les séquences diverses et variées, ce qui donne l’impression d’un patchwork parfois un peu confus. Ce n’est que par moments que l’on perçoit réellement tout le vertige lié à la catastrophe : dans les souterrains pour vidanger l’eau du réacteur (et empêcher une deuxième explosion), sur le toit du réacteur n°3 avec ces bio-robots qui doivent le nettoyer du graphite et de l’uranium (ce plan-séquence est terrifiant), devant une portée de chiots… Seul le dernier épisode, centré sur l’explosion en elle-même, parvient à maintenir cette tension et ce vertige du début à la fin. Frustrant donc.

Mais il serait injuste néanmoins de faire le snob devant la qualité de Chernobyl ; juste, rappeler qu’il reste encore des pans entiers de la catastrophe à illustrer dans le futur. Car Tchernobyl est une plaie qui ne se refermera peut-être jamais, de par ses conséquences sur le continent européen, sur l’URSS (Gorbatchev la tient en partie pour responsable de l’effondrement du bloc soviétique) sur l’Ukraine et la Biélorussie (la Zone existe toujours), sur les populations locales… Donc peu importe les threads sur Twitter quant à la magie du nucléaire ou sa dangerosité, car ils oublient l’essentiel : Chernobyl permet à des millions de personnes de se rappeler qu’un jour d’avril 1986, un réacteur a explosé à cause d’erreurs fatales. Que des personnes ont été mortellement irradiés, par dizaines, et que des milliers d’autres ont été irradiés dans les jours, semaines et mois qui ont suivis pour liquider cet ennemi invisible qui laisse un goût métallique sur la langue. Et que 300 000 personnes ont dû être évacuées d’une Zone de 30km de rayon autour de la centrale. C’est tout ce qui compte et Chernobyl le met bien en valeur. En espérant ne jamais connaître ça.

Chernobyl, créée par Craig Mazin, 5×60 minutes, HBO et Sky (UK), déjà diffusée. 

PS : si la catastrophe vous intéresse, n’hésitez pas à jeter un oeil aux photographies d’Igor Kostine ainsi qu’au documentaire La Bataille de Tchernobyl, disponible sur Youtube si vous fouillez un peu.

PFloyd lui attribue la note de :
7.5/10

En bref

Chernobyl aurait pu être mieux, certes ; mais en l’état, il s’agit d’une réussite qui permet à celles et ceux qui ne connaissaient pas la catastrophe de prendre connaissance de ce qui a été le fait majeur des années 1980, avec la chute du Mur de Berlin. Quant aux autres, ils pourront apprécier la qualité plastique de la série et le sérieux de la reconstitution et du jeu des acteurs et des actrices. Indispensable.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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