[Critique Série] – Doctor Who, saison 11

Doctor Who

Le 16 juillet 2017, alors que Roger Federer vient de gagner son dix-neuvième Grand-Chelem à Wimbledon face à un Marin Cilic impuissant, la BBC prépare l’annonce du nouvel acteur censé être le nouveau Docteur. Une émission spéciale pour cette institution outre-Manche qui livre son verdict : ce sera une actrice, Jodie Whittaker, qui arrive donc avec Chris Chibnall pour remplacer Peter Capaldi. Levée de boucliers sur Internet, “gnagna une femme ne peut pas être le Docteur”, quand bien même la série a montré qu’un Seigneur du Temps pouvait changer de sexe durant une régénération (il faut revoir The Doctor’s Wife pour ça). Ceci évacué, ce Doctor Who nouvelle version, sorti de six saisons d’un Steven Moffat qui tournait sacrément en rond depuis quelques années et qui n’a jamais su donner une réelle âme au douzième Docteur, vaut-il le coup d’être vu ?

La version courte : oui, pour Jodie Whittaker principalement.

La version longue : oui, forcément oui, même si l’ensemble manque de consistance. En changeant de showrunner, Doctor Who a vu sa formule évoluer : fini (la plupart du temps) le côté enquête parfois très stéréotypé qui était la marque de fabrique de Steven Moffat ; Chris Chibnall et les scénaristes utilisent plutôt les intrigues épisodiques pour peindre un contexte, une toile de fond, en approfondissant ses personnages secondaires plus que par le passé notamment. Cela permet à la série de se renouveler légèrement dans son écriture et le déroulé de ses épisodes, sans cesser de présenter des aventures passées et futures. Malheureusement, et c’est le cas des épisodes écrits par Chibnall, cette volonté de creuser ces univers (pas toujours très intéressants soit-dit en passant) se fait parfois au détriment de la qualité des intrigues et du fil rouge narratif, quasiment absent de cette saison.

On se retrouve donc devant une saison de Doctor Who irrégulière où, un comble pour une série, les épisodes écrits par Chibnall sont les moins bons de la saison, mis à part The Woman who fell to Earth qui introduit convenablement la nouvelle Doctoresse, malgré quelques longueurs. Outre le manque de consistance des intrigues et l’absence du fil rouge – qui peut se justifier par le fait que Chibnall et ses collègues ont voulu axer cette saison sur les personnages en priorité (en tout cas je leur donne cette excuse) -, le rôle de la Doctoresse pose aussi question. Cette nouvelle itération du Seigneur du Temps est plus hésitante que ses prédécesseurs au début, plus sympathique aussi que Twelve (pas compliqué) ; mais elle parait paradoxalement moins impliquée dans le monde qui l’entoure que ses prédécesseurs. Comme si elle se contentait parfois de regarder ce qu’il se passe sous ses yeux au lieu d’intervenir directement comme pouvait le faire le Docteur de Tennant (qui, faut-il le rappeler, a tout de même fait chuter une Première Ministre l’air de rien). Cette passivité passe inaperçue dans certains épisodes quand ils sont bien écrits ; mais quand ce n’est pas le cas, il manque ce moteur que pouvait être le personnage dans les saisons précédentes et qui masquait les carences narratives des épisodes.

Doctor Who

The Gang travel through time and space

Heureusement, cet aspect passif a tendance à être moins gênant dans la deuxième moitié de la saison, qui devient beaucoup plus dynamique et enlevée grâce à Vinay Patel, Pete McTighe, Joy Wilkinson et Ed Hime (les autres scénaristes de cette saison). L’épisode Demons of the Punjab de Patel est une petite merveille de sensibilité et d’écriture, en plus de mettre en lumière un pan de l’histoire (post-)coloniale britannique trop peu abordé dans les fictions occidentales ; plus divertissants, Kerblam! et The Witchfinders permettent aussi de retrouver un petit goût d’aventures oubliés depuis l’époque Russell T. Davies. Ces épisodes ont aussi comme point commun de remettre en avant l’aspect pédagogique de la série, la base de la série époque classique, ce qui est plutôt agréable quand le sujet est intéressant.

Et puis il y a les nouvelles têtes de la série. Là aussi, cette onzième saison de Doctor Who est irrégulière ; pas tant sur le choix des acteurs et des actrices, tous et toutes impeccables que ce soit les réguliers, Jodie Whittaker en tête, que les invités d’un épisode (mention spéciale à Alan Cummings qui campe un excellent et fort détestable (donc réaliste) Jacques Ier), que sur les personnages qu’ils et elles campent. En choisissant de coller trois compagnons aux basques de la Doctoresse, il semblait compliqué de tous les mettre en valeur et les rendre immédiatement profonds. Ainsi, si Ryan est celui qui est mis en avant dans l’épisode inaugural (de par ses problèmes de motricité et la perte d’un être cher), il reste en retrait par rapport à Yaz (qui bénéficie d’un excellent épisode) et Graham, son beau-grand-père un peu bourru au départ qui devient de plus en plus attachant au fil de la saison.

Un déséquilibre pas forcément gênant mais qui montre que la série a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre lors de la conception de cette saison. Un mot aussi sur Jodie Whittaker : son allure dégingandée rappelle étrangement un mélange entre les Docteurs de Tennant et de Smith, mais son jeu d’actrice la rend immédiatement sympathique et lui donne une identité qui lui est propre ; malheureusement, elle manque dans cette saison d’un moment marquant, comme pouvait l’être le discours de la Pandorica à Stonehenge pour Eleven. A Chibnall et ses acolytes de lui donner plus de matière lors de la prochaine saison pour que cela arrive.

Il est difficile au final d’être totalement satisfait de cette saison ; mais la rejeter en bloc serait foncièrement malhonnête. On le sait, il faut du temps pour qu’une nouvelle ère de Doctor Who se lance véritablement. Parfois cela prend un ou deux épisodes (Eccleston ou Tennant), parfois une saison entière (Smith), et cette treizième ère ne déroge pas à la règle. Personnellement, je prends le parti de retenir le positif et des quelques épisodes marquants de cette saison. Il faudra juste espérer que Chibnall se remette en question en tant que scénariste pour la douzième saison et aussi souhaiter que les rumeurs faisant état d’un départ du showrunner et de Whittaker à l’issue de cette prochaine saison (qui ne sera diffusée qu’en 2020) soient fausses. Doctor Who doit se reconstruire et cela demande du temps ; et Roger Federer ne nous contredira pas sur ce point.

Doctor Who saison 11, 10 épisodes diffusés sur BBC One et sur France 4 sur notre territoire. La saison 12 est prévue pour le début de l’année 2020, sans plus de précisions pour le moment.

PFloyd lui attribue la note de :
6/10

En bref

Doctor Who est mort, vive Doctor Who ! Tout du moins, en partie. Mais si tout n’est pas satisfaisant, gardons le positif : quelques épisodes réussis, des personnages attachants, une bonne distribution et surtout, une Jodie Whittaker qui démontre, n’en déplaise aux pisse-froids, qu’elle est une excellente actrice à la hauteur du rôle.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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