[Critique Série] – Marseille, mistral perdant

Marseille est une ville intrigante. Cosmopolite et ambivalente, la cité phocéenne est le cadre idéal pour une œuvre de fiction, et ce quel que soit le sujet abordé. Donc, quand Netflix a annoncé qu’une série prendrait place dans cette ville et lui donnerait le beau rôle au cœur d’une intrigue politique, le tout chapeauté par Dan Franck qui est un habitué des téléfilms sur les chaînes françaises, forcément il y avait de quoi être intrigué.

Il faut dire que Netflix et le producteur Pascal Breton (responsable de Sous le Soleil mais aussi producteur sur Le Bureau des Légendes) avaient mis les petits plats dans les grands pour l’arrivée du géant américain dans la fiction française : Gérard Depardieu en maire de Marseille face à Benoît Magimel, Géraldine Pailhas ou encore Hippolyte Girardot devant la caméra, Florent Emilio-Siri (l’Ennemi Intime notamment) et Thomas Gilou (La Vérité si je mens !) derrière, avec Alexandre Desplat à la composition musicale… Le pitch de la série quant à lui était assez simple : Robert Taro (Gérard Depardieu) est maire de la ville pour encore deux mois et tente de promouvoir un projet de construction d’un casino sur le port tout en couvant son héritier Lucas Barrès (Benoit Magimel) ; ce dernier le trahit pour prendre la mairie et mettre l’ancêtre à la retraite, Taro ne l’accepte pas et les deux partent en guerre lors des élections municipales. Voilà, Marseille n’est pas une série qui mise sur un scénario renversant, il s’agit d’une histoire centrée (encore une fois) sur des hommes autrefois amis puis ennemis dans un cadre politique assez véreux. Le genre d’histoire comme il y en existe tant dans la fiction et la littérature, donc pas trop difficile à adapter a priori, le tout chapeauté par des gens plus ou moins compétents et célèbres devant et derrière la caméra. Sauf qu’apparemment la route a été très pentue entre le premier jet du scénario de Dan Franck et ce qui est sorti sur Netflix ce 5 mai.

Marseille souffre d’un nombre conséquent de problèmes. D’abord des défauts d’écriture imputables à Dan Franck et à Emilio-Siri (qui a mis la main sur le projet et est crédité comme showrunner) : Marseille est écrite avec les pieds, peinant à construire des dialogues vivants, sombrant parfois dans une vulgarité crasse – bonjour la vision de la femme digne du 19e siècle (et encore) – mais restant le plus souvent à un niveau médiocre que n’aurait pas renié un soap produit à la va-vite dans les années 80. Dan Franck avait fait le choix de ne pas faire un House of Cards français et de présenter avant tout un drame humain : cette intention est clairement ratée car on ne s’attache jamais aux personnages et on se prend souvent la tête entre les mains devant l’inanité de certains dialogues – il suffit d’aller faire un tour sur Twitter pour voir de quoi la série est capable. En plus le jeu des acteurs oscille entre le moyen bon et le très mauvais – mentions spéciales à Benoît Magimel qui cabotine comme jamais, à Stéphane Caillard qui peine à exister en fille du maire qui ne sait pas trop ce qu’elle veut et aux « jeunes des quartiers » dont on a oublié les noms mais qui jouent comme des pieds. Vous serez aussi ravi d’apprendre qu’apparemment le maire de Marseille peut se balader comme il veut dans la ville sans être suivi par un service de sécurité conséquent (!) ou encore qu’un débat entre deux candidats à la mairie de la cité phocéenne soit diffusé en prime time sur France 2 (avec David Pujadas himself à la présentation s’il vous plait). Bref, malgré tout ça, si la technique suivait le verdict aurait été plus clément. Or, cet aspect interpelle et laisse supposer que le processus de production ne s’est pas déroulé dans les meilleures conditions.

La Bonne-Mère et l’assent de Benoit

Car Marseille est une série qui exhibe ses carences et ses cicatrices à la vue de tous. Déjà au niveau de la mise en scène, où Siri et Gilou ne parviennent pas à rendre crédible ce qui se passe devant nos yeux. Certains plans sont certes très travaillés, on ressent surtout le travail de Siri, mais le rendu est trop pompeux sur certaines scènes et ne parvient pas à rendre compte de l’état des personnages et de l’activité de Marseille, qui est une ville morte apparemment. Tout est artificiel ici, à l’image de cette campagne électorale qui devrait pourtant être tendue et enragée mais qui est presque abstraite ici, seulement montrée par le biais d’une réunion publique dans un bar ou d’un collage d’affiche qui tourne mal. De plus, il y a une vraie inégalité de traitement entre les personnages : Magimel et Depardieu bénéficient de plans très (trop) travaillés, là où le reste du casting est expédié à coup de champs/contrechamps ultra-rapides et basiques, rendant ainsi certain(e)s actrices/teurs complètement transparents – notamment Géraldine Pailhas qui n’existe pas (pas qu’elle soit mauvaise ou non, elle passe totalement au second plan). Emilio-Siri disait récemment qu’une série valait pour son visuel : c’est raté.

Gégé mélancolique

Et comme si ça ne suffisait pas, le montage est une plaie. Et vas-y que je coupe des plans alors qu’il aurait fallu les laisser vivre, que je mette aléatoirement des ralentis sur des scènes qui n’en ont pas besoin, que je fasse des ellipses absurdes où les personnages se téléportent d’un point A à un point B sans transition (et parfois d’en bas à un haut d’escalier)… Du coup on a le sentiment que Marseille a été écourté, elle est d’ailleurs très courte pour un drame Netflix, avec des épisodes allant de 45 à 35 minutes là où le reste de la production du site produit des épisodes d’une heure (voire plus), ce qui donne un rythme rushé à des épisodes où il ne se passe absolument rien. Quelque chose s’est passé en salle de montage, c’est évident. Soit la version de base était trop longue et il a donc fallu élaguer à l’arrache pour livrer la série dans les temps, soit la série a été remonté dans le dos de Siri ou de Gilou (par le producteur lui-même qui sait ?) et remise à Netflix sans que personne n’ait eu le temps de pouvoir corriger les dégâts. Mais il s’est forcément passé un truc pour aboutir à cette bouillie visuelle – et le laisser-faire de Netflix n’a sans doute rien arrangé.

Au final, que ressort-il de Marseille ? Quelques scènes sincères et bien pensées, comme ce moment où Taro descend dans les cités et fait un discours bien réac sur la jeunesse et le racket avant d’avouer dans la voiture que cette scène n’était que du spectacle et qu’il faudrait investir dans cette jeunesse pour qu’elle aide la ville mais que personne ne veut débourser d’argent pour cela… Là on se rend compte du potentiel de la série, et aussi de la qualité d’écriture de Dan Franck. Marseille aurait pu jouer la carte du déchirement intérieur, entre un politicien qui s’est laissé corrompre et qui ne veut pas lâcher le trône et l’homme qui a des idées mais qui sait qu’il ne peut les mettre en place et qui s’en est convaincu. Dan Franck dit avoir passé du temps dans les quartiers chauds de Marseille : où est ce travail de recherche dans la série ? Il n’y a aucune réflexion sociale, aucune réflexion politique, aucun point de vue d’une personne du bas de l’échelle – à part Éric mais il n’est pas crédible une seule seconde et commet même une tentative de viol dès les premières minutes, impossible de s’y attacher donc – et aucune remise en cause d’un système dont on voit pourtant qu’il ne fonctionne pas. Marseille tente de montrer l’ambiguïté du combat entre Barrès et Taro avec ce fils qui veut tuer le père qu’il aime tout de même, mais rien ne fonctionne de ce côté-là. Tout y est désincarné et artificiel, et finalement il ne reste que les instants nanardesques avec Benoit Magimel, les grands moments de malaise devant certains dialogues misogynes et/ou juste débiles, le sexe à gogo sans aucune raison pour faire comme Games of Thrones je suppose et surtout le sentiment de voir une œuvre qui s’est elle-même tuée dans l’œuf. Bref, ne gâchez pas six heures de votre vie là-dedans comme moi et tournez-vous vers des choses qui valent vraiment le coup.

PFloyd lui attribue la note de :
3/10

En bref

Marseille devait être le Cheval de Troie de Netflix en France, il n’est qu’un échec cuisant qui ne convaincra pas grand-monde et qui est une perte de temps de six heures. Il fait beau en ce moment, alors sortez, écoutez de la musique, regardez de bonnes séries ou de bons films, car comme disait Donna dans Parks & Rec, Treat Yo Self.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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