[Critique Série] – The Americans

Je dois avouer que mon visionnage de The Americans résume assez bien le côté négatif de la sériéphilie moderne. Le choix étant de plus en plus important d’année en année, il est nécessaire de faire parfois des choix douloureux et de zapper des pilotes et des saisons entières pour la bonne raison que les journées ne durent que 24 heures et que le sablier d’Hermione n’est pas encore disponible à la vente. Et en 2013, c’était donc The Americans qui était passé à la trappe. Heureusement, grâce à un peu de temps libre, cette erreur a pu être réparée et voici pourquoi vous devriez en faire de même.

Elizabeth et Phillip Jennings forment un couple américain tout ce qu’il y a de plus banal dans les années 1980 : ils ont une maison, deux enfants, deux voitures, travaillent dans une agence de voyage et ramènent des gâteaux quand une famille arrive dans le quartier. Enfin ça, c’est la façade ; dans l’arrière-boutique, les Jennings sont soviétiques et espions incognitos pour le compte de la Mère Patrie qui craint les États-Unis de Reagan. The Americans apparaît comme un projet à part pour plusieurs raisons. Déjà parce qu’elle traite des années 1980 d’un point de vue politique, culturel et social sous le prisme de la Guerre Froide, un sujet peu abordé dans les séries télé (et l’on pourrait élargir cela aux long-métrages). Ensuite, peu d’œuvres mettent en avant un point de vue étranger dans leurs narrations principales, surtout quand ce point de vue et celui de l’ennemi intime des américains durant cinquante ans. Enfin parce qu’elle est l’antithèse de la majorité des œuvres d’espionnage, s’attachant plus à développer ses personnages qu’à mettre en scène des missions badass et héroïques – même si on voit des filatures et des actions coups de poing of course.

Briefing sous la neige

Pourtant tout n’a pas été rose lors de ces quatre saisons, loin de là. La série est en effet divisée en trois phases : une première saison qui fait office de pilote géant – où on nous présente les enjeux, le travail des espions (une affaire = un épisode), les personnage, etc. Ensuite, la deuxième saison tente de poser un fil rouge plus dramatique et intense mais l’écriture peine à suivre jusqu’aux derniers épisodes de la saison. Mais c’est sur cette lancée plus positive que s’est appuyée la troisième phase, bien meilleure, avec les saisons trois et quatre qui ont vu l’écriture devenir plus forte, les personnages être plus humains et les enjeux bien plus intenses et prenants.

En délaissant petit à petit son statut de série d’espionnage classique à base d’une affaire par épisode, The Americans est devenu un drame humain tout ce qu’il y a de viscéral et éprouvant, qui laisse le temps à ses personnages de se développer et d’entretenir des relations de plus en plus ambiguës, notamment entre nos espions et leurs cibles – ainsi que les proches de ces dernières. Le côté romantique de l’espionnage – avec cet idéal souvent répété par Elizabeth de « promouvoir la paix dans le monde » – disparaît petit à petit pour faire apparaître une réalité plus sombre et terrifiante pour nos protagonistes : celle de devoir vivre dans un pays que l’on déteste mais dans lequel ils ont développé une famille, des liens amicaux, des liens professionnels, et qui abrite quelques avantages qui n’existent pas dans la mère-patrie – comme cette superbe Chevrolet blanche, n’est-ce pas Phillip ?

Cette question identitaire est le cœur de The Americans, mais elle a mis du temps à trouver le bon ton pour bien en parler. Trop froide et manquant de relief, l’écriture a peiné à rendre ses personnages attachants et à nous surprendre. Surtout, elle a passé deux saisons à mettre Elizabeth en retrait par rapport à Phillip – en en faisant une figure trop uniforme d’espion exalté par sa mission alors que son mari est la figure du doute qui est attiré par le rêve américain – avant de rectifier le tir lors de la saison 3 et de mettre en avant le couple dans sa globalité, en questionnant aussi bien la conscience de Phillip que celle d’Elizabeth et donc de fissurer sa façade ultra-patriotique. Un choix d’autant plus judicieux que le personnage d’Elizabeth semble d’une profondeur dramatique sans fond – et le jeu de Keri Russell tout en nuance lui rend vraiment justice -, toujours plus proche de la rupture dans ce triple jeu de mère qui doit s’occuper de la vie de famille, gérer ses contacts et ses missions et supporter l’humeur de Phillip qui a tout du neurasthénique en puissance. Ce dernier quant à lui n’a pas un personnage qui évolue énormément au fil des saisons et est parfois agaçant, mais son utilisation en tant qu’espion est assez passionnante – notamment sa double vie avec Martha, la secrétaire du chef du contre-espionnage au FBI – et Matthew Rhys parvient à le rendre attachant malgré tout.

L’autre force de The Americans est d’arriver à rendre passionnant les situations extérieurs à nos espions anonymes. La série suit le contre-espionnage américain via Stan Beeman (campé par un Noah Emmerich toujours vif), agent du FBI – qui est le voisin des Jennings, ce qui est tout de même une sacrée facilité de la série mais passons – et le service où il travaille (avec un chef flegmatique et des collègues qui ont soit trop regardé de films noirs, soit sont fans de Matthew McConaughey vu leur diction) ; de l’autre côté, on suit la tête de l’ambassade soviétique à Washington, du patron aux quelques collaborateurs/trices qui lui sont proches et qui fricotent aussi avec l’espionnage. Les scènes ne sont pas très originales à ce niveau, on est dans le déjà-vu à plusieurs reprises, mais jamais le rythme en souffre et on se surprend à apprécier ces à-côtés qui nous plongent dans la compétition entre ces deux superpuissances et leur univers, notamment le monde soviétique plutôt bien présenté et écrit et qui bénéficie d’un vrai soin – le russe est courant dans la série sur de longs moments et il présente même des séquences en URSS assez crédibles, ressemblant à l’Aveu de Costa-Gavras. On s’attache à tous ces soldats qui ne sont que des pions dans ce gigantesque jeu d’échec qu’est la Guerre Froide et rien que pour ça, la série mérite un bon point. Il ne faut pas non plus occulter le soin apporté aux personnages féminins – Martha et Nina en tête – qui sont très bien écrites et questionnent la place des femmes dans cette guerre – place peu reluisante malheureusement.

Réunion de famille

En quatre saisons The Americans s’est donc imposé comme une des meilleures séries de ces dernières années. Grâce à son écriture soignée qui s’améliore lors des deux dernières saisons et à ses personnages travaillés auxquels on s’attache très fortement, la série happe et rend passionnant son sujet sans céder au spectaculaire ou à la facilité. Même si elle n’est pas parfaite, notamment lors de ses deux premières saisons, The Americans est une réussite dont la fin est déjà programmée par FX pour 2018. D’ici là, il va falloir s’armer de patience et stocker des mouchoirs pour essuyer nos yeux lors du final de la série. Tristesse.

Brothers in Arms

Deux ans sont passés. Il est temps de compléter et de conclure ce texte. Car oui, The Americans a tiré sa révérence ce jeudi 31 mai, après six années de bons et loyaux services. Un an après Halt & Catch Fire (chez le concurrent AMC), une des meilleures séries de la décennie part à son tour dans une quasi-indifférence générale.

Si la cinquième saison faisait office de transition après les excellentes troisième et quatrième saisons, permettant à la série de continuer les trajectoires de Philip et de Paige, parfois au détriment de l’aspect familial et politique de l’oeuvre, il n’y avait pas trop de craintes quant à la réussite de cette ultime livrée car on pouvait penser que les scénaristes en gardaient sous la pédale. Et en effet, sur ces dix derniers épisodes, The Americans atteint un niveau monstrueux, s’axant sur un épisode charnière de la Guerre Froide (la discussion pour la réduction des arsenaux nucléaires de l’URSS et des Etats-Unis en plus d’une détente initiée par Gorbatchev) tout en continuant de dérouler les cheminements de la famille Jennings, de Stan et de tout ce petit monde d’espions qui ne savent plus trop pour quoi ils se battent.

A l’instar des meilleurs drames, le destin de chaque personnage semble à la fois logique et cruel, tant les choix pris lors des saisons précédentes ne laissent que peu d’alternatives pour chaque personnage. Chaque épisode est parfaitement filmé, la musique de Nathan Barr et les choix de chansons d’époque sont sublimes, les dialogues sont ciselés avec une précision démoniaque et les acteurs et actrices de la série (Keri Russell mérite un Emmy et un Golden Globe merci) soutiennent et portent admirablement la série à l’écran. Oui, clairement cette saison 6 est, pour le moment, ce que la télévision américaine a sorti de mieux cette année. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le cinquième épisode ou encore le dernier, START (préparez les mouchoirs), pour s’en convaincre.

Un jour The Americans sera reconnue à sa juste valeur. Pour le moment, celles et ceux qui ont eu le bonheur de profiter de la série lors de sa diffusion peuvent se dire qu’ils ont eu du flair et peuvent faire leur deuil. Pour les autres, il est toujours temps de rattraper votre retard ; la série est disponible en partie sur Netflix, ce qui vous permettra de vous faire une idée sur sa qualité.

The Americans, 6 saisons, 75 épisodes, diffusée sur FX (5 saisons déjà disponible sur Netflix France, la sixième devrait arriver dans une petite année normalement).

 

PFloyd lui attribue la note de :
8/10

En bref

The Americans s’en est allé avec panache et en provoquant une crise de larmes sévère pour votre serviteur. Pour son écriture, ses personnages, ses enjeux, son univers et ses thématiques, cette série mérite d’être vue et reconnue. Un jour, peut-être.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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