[Critique Série] – Black Mirror, saison 3

En l’espace de deux saisons de trois épisodes entre 2011 et 2013, Channel 4 et Charlie Booker avaient réussi à créer un phénomène du nom de Black Mirror. L’idée ? Montrer l’absurdité et la dangerosité des nouvelles technologies et de la société qui les utilise sur des individus lambda. Une valeur sûre que Netflix a choisi de récupérer l’année passée pour 40 millions de dollars afin d’en produire 12 épisodes, dont 6 pour cette troisième saison.

Six épisodes donc, mais toujours les mêmes thématiques développées par Booker avec quelques mises à jour dues à l’époque. Au programme, on retrouve par exemple une société où chaque personne se met à noter frénétiquement son prochain, une simulation en réalité virtuelle plus vraie que nature, ou encore un soldat surentraîné qui se met à observer de drôles de choses… Bref, de la joie de vivre et du happy end en pagaille pour ces six heures et demi.

C’est peut-être d’ailleurs un des problèmes de cette saison 3. En 2011, Black Mirror nous surprenait parce qu’aucune série n’avait affronté aussi frontalement les rapports que l’on a avec la technologie et son intégration dans la société. On pouvait certes ne pas aimer le style de Booker, son écriture parfois caricaturale et ses intrigues tirées par les cheveux ; mais la série était différente. Elle était pêchue, efficace, flippante et stressante, et le principe de l’anthologie fonctionnait très bien vu qu’à chaque nouvel épisode se présentait une situation différente, permettant au spectateur de ne jamais savoir vraiment ce qui l’attendait. Mais ce qui est resté dans la mémoire collective est vraiment le côté jusqu’au-boutiste de la série dans sa capacité à faire vivre l’enfer à ses protagonistes. Du coup tout le monde s’attendait à vivre l’enfer de nouveau, en négligeant presque que le sel de la série n’était pas vraiment là mais dans le fait que les personnes montrées auraient très bien pu être nous. Et puis en cinq ans, on a eu le temps de vieillir et d’avoir du recul sur les thèmes abordés par la série, mais aussi de voir d’autres choses et d’évoluer au niveau des goûts et des couleurs.

Cette saison de Black Mirror est bien ficelée, c’est indéniable. L’image est travaillée, il y a de belles idées de mise en scène, les twists sont toujours là et l’appui financier de Netflix a permis aux scénaristes de se faire plaisir, en multipliant les gadgets et les effets spéciaux (pas toujours bien réussis). Les thèmes abordés sont tous intéressants sur le papier et les acteurs font bien leur travail – même si Mackenzie Davis et Gugu Mbatha-Raw sont clairement au-dessus des autres. En résumé, l’ensemble devrait fonctionner ; pourtant la saison est très inégale au niveau du rythme – le 3×01 aurait mérité plus de temps pour développer son univers, le 3×02 est trop long de vingt minutes – et se perd parfois à vouloir développer des univers d’anticipation qui nécessitent du temps pour être présentés. Le format d’une heure n’est apparemment pas suffisant pour que ça soit le cas, seuls le 4 et le 6 y parvenant ; et quand l’action se déroule dans notre monde (le 3×03), l’écriture s’embourbe dans un côté moralisateur à deux francs six sous qui passe mal et blase complètement. Cette saison donne la sensation que le passage sur Netflix a été à la fois une bénédiction pour l’équipe de développement mais a aussi ajouté des complications dans la confection des épisodes – complications qui ont faire ressortir des défauts qui existaient déjà lors des deux premières saisons, comme l’écriture pas toujours au point. Et à trop vouloir chercher le twist qui claque ou le concept flippant, la série perd de vue ses personnages et son étude du système et de la société qui les entoure et les écrase, et devient prévisible en plus d’ouvrir des portes en rafale.

Heureusement l’épisode 6 et surtout l’épisode 4 sauvent cette saison de Black Mirror. Le premier, long d’une heure et demi, n’a rien à envier aux films policiers un peu parano, et même si son intrigue est classique, il a le mérite d’être prenant du début à la fin. Le second quant à lui a une intrigue plus banale en apparence – une rencontre dans une boîte de nuit qui débouche sur une relation amoureuse – mais parvient, grâce aux jeux de ses actrices, à la simplicité de son univers et des enjeux qui nous sont présentés, à être passionnant de bout en bout. Le ton plus léger de l’épisode n’y est pas pour rien aussi ; et si les personnages souffrent et subissent des coups durs (forcément), ils ne sont pas écrasés par les thèmes abordés et semblent exister pour de vrai. Cela rend l’histoire plus crédible, plus réaliste et surtout, plus humaine, sans pour autant renier la critique technologique qui est le credo de la série.

Cette troisième saison laisse donc un petit goût de frustration dans la bouche. Car si Black Mirror est toujours capable de fulgurances, elle peine aujourd’hui à réussir ce qu’elle faisait avec brio il y a quelques années, à savoir faire réfléchir. Les épisodes s’enchaînent sans trop de difficulté, donnant l’impression que la série tourne en rond à vouloir choquer à tout prix et enfonce des portes ouvertes dans le fond et la forme. Ce n’est que quand elle prend le temps de vraiment développer un univers ambitieux (l’épisode 6) ou quand elle part d’un postulat de départ simplissime sans chercher à partir dans tous les sens (le quatrième) que la série se retrouve et atteint des moments de grâce géniaux grâce à ses personnages. Car pour ressentir de l’empathie pour quelqu’un, encore faut-il qu’il existe et soit crédible, ce qui est malheureusement trop rare dans cette saison.

Alors je sais bien que les deux premières saisons de Black Mirror avaient aussi ces défauts. Mais ce qui passait en 2011 ou 2013 ne passe plus vraiment en 2016 pour moi. Sans doute aussi parce que j’attache plus d’importance à d’autres aspects d’une série qu’il y a cinq ans. Foutue vieillesse.

PFloyd lui attribue la note de :
6/10

En bref

Sans ses épisodes 4 et 6, cette troisième saison de Black Mirror ne vaut pas plus de 3 ou 4. Du coup tout dépendra de vos attentes par rapport à la série : si vous cherchez uniquement des twists et du sang, cette saison est faite pour vous. Si votre attention se porte plus vers le fond, vous risquez d’être déçu. A vous de voir dans quelle catégorie vous vous rangez pour profitez le mieux possible de cette saison.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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