[Critique Série] – Southland : To Live & Die in L.A.

Southland

NBC©/TNT©

Dans le monde des séries policières, il y a le modèle indépassable qu’est The Wire. Il y a la série de ripoux ultime qu’est The Shield. Il y a les précurseurs Hill Street Blues et NYPD Blue. Mais pour ce qui de la peinture de la vie quotidienne de flics (ici dans les rues de Los Angeles), rien n’égale Southland, qui fête cette année son dixième anniversaire.

Des cinq, Southland est la moins connue mais aussi celle qui a eu la vie la plus compliquée. Diffusée sur NBC en 2009 pour seulement 7 épisodes avant d’être annulée par le network au paon (toujours dans les bons coups fourrés), elle fut reprise in extremis par TNT, une chaîne plus connue pour sa couverture de la NBA que pour ses séries. Une annulation tout sauf surprenante : si la forme documentaire avec caméra à l’épaule et focus sur le quotidien d’agents de terrain était populaire dans les années 90, ce n’était plus le cas au tournant des années 2010 ; la mise au placard de Friday Night Lights (qui dispose de la même mise en scène) en 2008 sur Audience Network en est une preuve. Malheureusement pour Southland, TNT ne saura pas vraiment quoi en faire, lui offrant tout juste dix épisodes pendant trois saisons, avant de l’annuler définitivement en 2013, sans doute gênée par cette série trop radicale pour sa programmation habituelle.

Car malgré ce parcours chaotique, Southland est indéniablement une grande série. Un héritage télévisuel prestigieux, de NYPD Blue (Ann Biderman, créatrice de la série, en était une scénariste durant la première saison), à Third Watch en passant par ER (à ses débuts) pour cette volonté de suivre des hommes et des femmes au plus près de leurs boulots avec cette caméra en mouvement qui ne les lâche jamais. Un casting parmi les plus denses jamais vu à la télévision, du beau gosse (Ben McKenzie venu de The O.C.) qui va se transformer physiquement et psychologiquement au fil des cinq saisons de la série à des figures charismatiques comme (l’immense) Regina King ou Michael Cudlitz, en passant par le jeu tout en sensibilité de Shawn Hatosy et une pelletée de seconds rôles tous bien écrits et interprétés qui se succèdent plus ou moins rapidement au fil des cinq saisons de la série – on peut citer comme exemples (l’immense²) Lucy Liu, Christopher Howell ou encore Anthony Ruivivar.

Southland

Elementary (2012) / TNT©

Et puis, il y a ces quarante-trois épisodes étalées sur cinq saisons qui dépeignent un Los Angeles violent, complexe et foisonnant, où la petite frappe marrante côtoie le crime organisé, où chaque carrefour, chaque rue empruntée en voiture par une patrouille peut amener soit une situation absurde, soit une perte de temps sèche pour les flics, soit un événement dangereux pour tous et toutes. C’est la grande réussite de Southland : parvenir à montrer ces moments de bascule où le pire peut survenir et les vivre à côté de ses protagonistes, avec la même tension qui parcourt le corps. Sur la durée, on pourrait penser que cela rend la série répétitive ; mais justement, c’est cette répétition qui marque le téléspectateur et le lessive.

Cette impression de toujours subir ces situations et de finalement tourner en rond permet aussi à Southland de faire évoluer ses personnages. Le cas de Ben Sherman en est le parfait symbole : rookie perdu par l’intensité du travail dès son premier jour dans ce Los Angeles tentaculaire, fils de riche cherchant l’action, dragueur à ses heures perdues, il va peu à peu devenir plus assuré dans son travail et se transformer physiquement. Son orgueil et son égo vont peu à peu lui faire perdre de vue sa mission de base (protéger et servir), pour plonger de l’autre côté de la barrière. A force de courser des gens, Ben Sherman devient comme eux ; c’est son choix.

Southland

NBC©

Il n’est pas le seul à se perdre dans ses failles et ses errements. Dans Southland, tout le monde finit par être affecté par ce métier qui peut broyer n’importe qui, flic ou civil. Lydia et sa solitude professionnelle et privée, Sammy et son incapacité à prendre les bonnes décisions, Nate et son passé, Chickie et sa volonté d’être la première femme à intégrer le SWAT et qui se heurte à la misogynie ambiante (cela vaut aussi pour Jessica Tang dans la saison 4)… Si la série n’a jamais eu comme ambition de développer des arcs personnels très importants – il n’est pas rare qu’un personnage secondaire disparaisse pendant une saison et revienne en coup de vent pour deux minutes l’air de rien – elle n’en oublie pas ses personnages pour autant. Tous et toutes sont plus ou moins attachants et/ou détestables (souvent au sein du même épisode) mais ils ne laissent jamais indifférents. A l’instar de ce que Friedkin a su faire dans To Live and Die in L.A. (l’ambiance et la violence sont communes aux deux oeuvres), chacune de leurs actions et de leurs choix a du poids, un impact ; et nous les regardons impuissants s’enfoncer plus ou moins rapidement dans ce grand nulle part qu’est Los Angeles.

Et puis il y a John Cooper, le vétéran dur mais juste qui forme les rookies et fait toujours les mêmes patrouilles depuis vingt piges, avec son sourire ironique et ses lunettes fumées. Le flic intègre qui se flingue la santé et trompe sa hiérarchie pour pouvoir continuer à faire la seule chose qu’il maîtrise réellement. L’homme qui donne aux autres et évite de penser à lui-même pour ne pas être confronté à l’état de sa vie. John Cooper est le rôle de la vie de Michael Cudlitz et bien plus ; il est un des meilleurs personnages jamais écrits et joués de l’histoire de la télévision américaine. Quiconque voit Southland ne peut oublier John Cooper. Ainsi que l’épisode Chaos, qui porte très bien son nom.

Tout noir Southland ? Heureusement non. Seulement, il y a de tout, comme dans la vraie vie. Une absurdité amère qui évite l’écueil de glorifier cet univers testostéroné tout en évitant de disqualifier tous ses personnages d’office. On quitte la série avec le sentiment qu’elle aurait pu durer encore dix ans sans que sa qualité ne s’altère ; mais aussi, on peut arguer que ces quarante-trois épisodes se suffisent largement à eux-mêmes. De toute manière, cela n’empêche pas Southland d’être au panthéon des séries américaines, confortablement installée dans l’ombre de ses camarades, attendant d’être découverte et redécouverte.

Southlandcréée par Ann Biderman, 5 saisons et 43 épisodes de 42 minutes, diffusée sur NBC (1e saison) puis TNT. Diffusée en France sur Série Club mais non disponible légalement en ligne.

PFloyd lui attribue la note de :
9/10

En bref

Méconnue, Southland mérite d’être vue pour sa peinture d’une Los Angeles qui semble infinie et toujours en mouvement, ni noire, ni blanche, mais avec de vraies tranches de vie tragi-comiques. Une des pépites que la télévision américaine peut produire par moment, même si elle ne les comprend pas toujours elle-même.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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