[Critique Série] – Trepalium

Une dystopie française à la télévision, tiens donc. Un genre bien rare sur nos écrans, tellement rare qu’il est compliqué de se rappeler quand eut lieu la dernière production de ce genre (si tant est qu’il y en ait eu une un jour). Avec un budget limité (3 millions d’euros), Antarès Bassis et Sophie Hiet ont voulu créer avec Trepalium une série sobre avec comme sources d’inspirations Bienvenue à Gattaca ou encore Soleil Vert. De bien belles références, mais le résultat est-il à la hauteur ?

Trepalium présente un monde rétro-futuriste où le travail vous définit : soit vous êtes un Actif (20% de la population), soit un Zonard si vous êtes au chômage (le reste) ; entre les deux, un mur immense qui coupe la ville en deux. Des passages sont possibles entre ces deux mondes, notamment grâce au programme « solidaires », qui permet à des Zonard(e)s de travailler pour des Actifs volontaires – comme Izia, le personnage principal de la série. Un modèle qui se veut une réussite, coûte que coûte.

Clairement, le monde de Trepalium intrigue. Basé la définition stricto sensu du mot travail – le trepalium dans l’Antiquité était un instrument de punition pour les esclaves puis devint une notion contraignante au Moyen-âge – le monde de la série est divisé comme sa ville : une Zone géante qui évoque un bidonville où les habitants tentent de survivre tant bien que mal, avec une mise en scène caméra à l’épaule façon documentaire ; et un monde d’Actifs froid et distant où tout est apparence et où la mise en scène se veut plus épurée, plus sobre. La grande force de cet univers est d’être vraiment cohérent et crédible, malgré son côté vu et revu. La série fait beaucoup penser à Soleil Vert et à ses contemporains des années 70, que ce soit dans son esthétique, son économie de moyens ou son rythme posé et assez lent. Les bâtiments immenses et bétonnés (le siège du PCF a servi de décor entre autre) font quasiment office de mausolées pour ces travailleurs déshumanisés qui s’abrutissent à effectuer des tâches qui les maintiennent esclave d’un système qu’ils ne peuvent quitter, sous peine d’envoi dans la Zone (ou de mort). Ce n’est pas très subtil ni très original, mais ça a le mérite de donner un propos sensé et plutôt intelligent de bout en bout, notamment dans le traitement des thématiques abordées et du déroulement de l’intrigue.

On le comprend très vite, le but de Trepalium est de montrer une population réduite à mourir de faim face à une minorité de « surhommes » travailleurs. Du coup, les responsables de la série se sont dits que ce serait une bonne idée de faire jouer les Actifs comme des robots, en opposition aux Zonards plus vivants et désespérés. Et c’est là que le bât blesse, la série va trop loin dans cette démarche de montrer une déshumanisation qui finit par paralyser Trepalium et qui l’empêche de prendre de l’ampleur, d’être viscérale quand il le faut. Le jeu de la plupart des acteurs frôle le ridicule, que ce soit du côté des Actifs (Charles Berling cabotine énormément, Pierre Deladonchamps manque de nuance pour être crédible alors que son rôle est très important) ou du côté des Zonards (mention spécial aux révolutionnaires qui ne sont pas crédibles un seul instant), et si Léonie Simaga tente d’apporter de l’énergie et de la vie dans la série, sa prestation ne suffit pas à compenser les manquements de ses camarades. En plus, l’écriture manque de subtilité, ce qui n’arrange rien et dessert souvent les nuances du monde de Trepalium.

Et à force de laisser ses personnages à distance et de réduire les émotions au strict minimum, la série anesthésie le spectateur. Les situations paraissent trop forcées pour être crédibles, cassant ainsi certaines séquences qui devraient être dramatiques : par exemple, le viol d’Izia par le personnage de Berling. C’est une scène qui doit être révoltante et bouleversante, qui doit montrer que cette société est perverse et violente ; or, elle apparait comme prévisible, grotesque (le jeu de Berling défie toute rationalité) et froide. Là où on aurait dû être choqué, on est blasé ; Parce qu’elle est mal amenée, filmée platement, mal jouée. Au fil du visionnage, tout ces défauts sabotent systématiquement les ressorts dramatiques qui auraient dû fonctionner à plein régime ; du coup, la série toussote et parvient parfois à prendre aux tripes, mais trop peu de fois hélas.

Et c’est vraiment dommage, car Trepalium est cohérente au final. Elle débute comme il faut et finit comme il faut. Ses idées sont intelligentes, son point de départ est simple mais efficace, ça se suit bien, la direction artistique est sobre mais marquante, la mise en scène, malgré quelques défauts notamment sur la fin, est plutôt soignée… Mais ses défauts contrebalancent toutes ses qualités. Là où Trepalium aurait pu être une bonne série d’anticipation, voire plus, elle n’est qu’un essai imparfait. On espère aussi qu’elle ne sera pas qu’un coup d’épée dans l’eau ; la télévision française se doit de continuer à produire des oeuvres qui se veulent aussi audacieuses et qui sont issues de genres délaissés d’habitude, et notamment la SF. Mais ça, seul l’avenir nous le dira.

PFloyd lui attribue la note de :
6/10

En bref

Trepalium est clairement imparfaite, mais parvient, malgré son manque de moyens financiers, à construire un univers dystopique crédible et cohérent. Encourageant.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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