[Critique Série] – Sharp Objects

Si le nom de Marti Noxon ne vous dit rien, un conseil : arrêtez tout et regardez Buffy illico presto. Pour les autres, forcément cela rappellera des souvenirs émouvants (Bewitched, Bothered and Bewildered, The Wish, New Moon Rising, Villains). Depuis 2003, Noxon a continué son petit bonhomme de chemin, participant à Mad Men (pas mal) et créant quelques séries (UnREAL ou Dietland récemment). Sa dernière création en date est Sharp Objects, une série en huit parties basée sur un roman de Gillian Flynn (qui participe aussi à l’écriture de la série) et diffusée sur HBO jusqu’à dimanche dernier (eh oui, nous ne sommes pas toujours à la bourre pour les critiques).

Cela fait quelques années maintenant que la chaîne câblée de la Warner cherche à renouveler et à équilibrer son catalogue, notamment en s’ouvrant vers des séries plus intimistes mais avec de grands noms devant et/ou derrière la caméra, pour contrebalancer les superproductions que sont Games of Thrones ou Westworld. True Detective et Olive Kitteridge en 2014 ou encore Big Little Lies l’an dernier avaient réussi cet alliage. D’ailleurs, Jean-Marc Vallée, qui avait fait du bon boulot sur cette dernière, se retrouve à la mise en scène des huit épisodes de cette saison de Sharp Objects. Devant la caméra, Amy Adams, Chris Messina et Patricia Clarkson, entre autres, pour faire tourner la boutique. Sur le papier, tout s’annonçait bien donc.

Huit épisodes plus tard, le bilan est malheureusement mitigé. Non pas que Sharp Objects soit une mauvaise série ; ce n’est pas le cas. Elle brille même par moments dans ce cadre familial décalé et malsain où le temps semble s’être arrêté au début du vingtième siècle : domestique noire, villa qui rappelle les plantations d’antan, famille privilégiée où rien ne doit dépasser (surtout pas une fille journaliste qui sort d’un séjour en hôpital psychiatrique)… Ce qui se passe dans la maison des Crellin est assurément le point fort de la série, tellement chaque seconde passée dans cette demeure donne le sentiment qu’elle risque d’exploser à tout moment sous le poids des rancoeurs et des névroses de chacun.e. Si l’écriture aide à construire cela, le jeu des acteurs et des actrices qui hantent ces lieux en est le principal responsable : de Clarkson, crispante à souhait en mère ultra-possessive, à Adams, constamment au bord de la rupture, en passant par Henry Czerny, parfait en homme qui ne sait plus trop quoi faire de sa vie, et Eliza Scanlen, qui met une intensité dramatique folle à chacun de ses passages devant la caméra, tous et toutes apportent un vrai plus à l’ambiance délabrée qui occupent ce domaine infernal.

Sauf que, et c’est le souci, ces moments en vase-clos ne forment pas l’intégralité de la série. Camille Preaker (Amy Adams), revient à Wind Gap, lieu de son enfance, pour enquêter et écrire sur la mort criminelle de deux adolescentes. Si cette ouverture spatiale permet à Sharp Objects de dresser le portrait peu reluisant d’une ville du sud des Etats-Unis, elle lui fait perdre de la force, diluant le drame familial intimiste et malsain dans une enquête policière sans réel intérêt, le tout dans un environnement vu et revu au cinéma et à la télévision. Pas aidé par le manque de charisme de Chris Messina, dont le personnage de flic est écrit platement, Amy Adams est un peu trop seule pour donner du relief à cette communauté assez antipathique, seulement aidée par quelques rôles secondaires parfois bien pensés. La mise en scène de Vallée, précise dans les moments intimes au sein de la famille Crellin, perd de sa puissance une fois à l’extérieur ; l’abus d’inserts et de flashbacks tente d’insuffler du rythme et de la tension, mais la plupart du temps ces scènes au sein de la ville manquent de souffle dramatique et semblent trop artificiels pour être marquants. Quant à l’écriture, elle est souvent irrégulière, ce qui n’aide pas la série à trouver un rythme de croisière optimal, l’ennui venant même parfois pointer le bout de son nez.

Sharp Objects est assez frustrante car elle contient de bonnes idées. Le travail sur le son est assez remarquable, même si d’autres séries ont su jouer sur cet aspect par le passé, tout comme la bande-son de façon globale. Si le personnage d’Amy Adams souffre de quelques clichés (le penchant vers l’alcool est parfois un peu trop forcé), il n’en reste pas moins écrit avec sensibilité, l’interprétation de l’actrice lui donnant un charisme certain. Et son rapport avec sa demi-soeur vaut vraiment le détour. Mais l’ensemble manque de cohérence, car en voulant marier enquête policière, état des lieux sociologique d’une ville du Missouri et huis-clos familial poisseux, Vallée et les scénaristes perdent le fil de leur série et ce qui en fait sa force : la famille Crellin. Dommage.

Vous pouvez néanmoins jeter un oeil sur Sharp Objects afin de vous faire votre idée ; mais si vous n’avez rien vu cette année, jetez d’abord un coup d’oeil à cette folie qu’est Pose car cette dernière mérite vraiment d’être vue en priorité. Quant à une possible suite, Marti Noxon y est défavorable, mais les audiences ayant été plutôt bonnes, HBO pourrait être tenté de tirer sur la corde. Un peu à l’image de Big Little Lies.

Sharp Objects, HBO, 8×50 minutes, déjà diffusée aux USA (diffusée sur OCS en France)

PFloyd lui attribue la note de :
6/10

En bref

Quitte à paraître un peu sévère et à m’attirer les foudres de certains amateurs gastronomiques, Sharp Objects ressemble beaucoup à un soufflé : beau en apparence mais un peu décevant une fois sorti du four. A voir pour Amy Adams et l’intimité de la famille Crellin, le reste est malheureusement beaucoup moins intéressant pour rester en tête longtemps après le visionnage.

PFloyd

Stanley Kubrick, Akira Kurosawa et David Simon sont mes Dieux, mais je prends toujours du plaisir à voir un film ou une série, à condition que ce soit bien et bon. Sinon, gare au retour de bâton.

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